Voyage en Chantier

Les voyages commencent souvent par un papier imprimé : Titre de transport, billet, ticket…
Autant de fenêtres grandes ouvertes sur le hasard et les plaisirs inconnus.
Pourtant, l’aventure que je vais vous raconter aujourd’hui prend fn avec ce ticket de tramway.

L’inauguration

Jour pluvieux, de fête et de beaux discours.
A distance, je dessine une macédoine de parapluies humides, compactée autour de la rame.
Je vois cette chenille en fleur, submergée par tant de frénésie.

Trapézistes, gens enrubannés, et plus tard, usagers de la ligne 2 connaitront-ils mon voyage si je n’en laisse pas traces ?

Et cette chanteuse d’opérette, soulevée par l’index de cette grue mobile, imagine t-elle l’envers du décors ?

Il y a quelque chose d’impudique, trop d’appropriation immédiate, de regards et de touchers, sur cet objet qui cache le savoir-faire et les efforts de centaines de personnes.

Les voyageurs envahissent les rames comme des assaillants s’emparent d’un butin.
Et leur curiosité avide les rend étrangers à mon histoire.

Aujourd’hui 16 décembre 2006, les Montpelliérains ont intégré leur nouveau moyen de transport.
Mais hier, qu’en était-il ?

Hier ils étaient là, au même endroit…
Ceux qui soudent, coulent, posent, maçonnent, terrassent, ceux qui « ont fait le tram ». Et j’étais là aussi, parmi eux. Au cœur de l’ouvrage.
Ces dessins en témoignent.

Ma première rencontre a eu lieu une nuit de novembre, à l’heure où la cité s’emmitoufle et s’apprête à dormir. En bas dans la rue des hommes étranges, vêtus de jaune, préparaient leur concert.

Car il s’agit bien d’un orchestre et de sa partition.
Immobile et patente, je trouve mon travail de peintre bien modeste vis à vis du chantier qui se façonne et se transforme sous mes yeux.
Symphonie et balai de matières, de gestes techniques et de fumées.

La nuit, s’ajoute une concentration, une densité extrême à tout acte professionnel.
Chaque ouvrier est à son poste.

Sa présence fluorescente souligne son utilité.
Par mes feutres excités, jaillit cette vérité.

Plus loin, je retrouve deux hommes affairés sous la lune claire
Dès cette première nuit, je sens mon travail fusionner avec cet immense chantier.

Mon expérience va durer ainsi deux années, où les visions les plus spectaculaires alterneront avec le quotidien des soudeurs et des maçons.
Je voudrais ici restituer la ferté, l’effort et la richesse de leur gestes, passés inaperçus.

Ici encore, montrer combien ces gestes sont délicats,
et ces regards doux, pour le béton, la pierre et l’acier.

Des pelles et des grues, araignées géantes et tentaculaires semblait se disputer la vedette de ce théâtre de rue.

Mais de tous ces moments forts, il en est un de particulièrement symbolique :
la pose des rails.
Pour les bâtisseurs du tram, la vision de ces deux lignes d’acier, ces marque indélébiles, représentent enfin l’aboutissement de tout ce temps passé à sa réalisation.

Je pense avec nostalgie à la date de l’inauguration qui approche. Dans quelques jours, les bruits de chantier vont cesser. Quelques semaines encore pour que les voyageurs s’y habituent et que le calme et l’oubli reviennent à la station « comédie ».

La fin du voyage

Texte : Olivier Rouquette

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